L'exercice comporte des passages obligés sur la forme et le fond, alors que « l'exigence de cohérence » a remplacé celle de « transparence ».

L'assemblée générale est un exercice annuel à hauts risques qui constitue pour les PDG une épreuve plus difficile qu'une présentation aux investisseurs. De mémoire de petit actionnaire, les AG d'Accor et de Vivendi auront, l'année dernière, marqué le summum d'une incompréhension mutuelle, sur fond de changement de management ou de stratégie jugée trop floue. C'est fâcheux : l'AG demeure un grand rendez-vous pour les actionnaires individuels, qui répond à de nouvelles exigences. « L'assemblée générale a longtemps été assimilée à une formalité juridique. Mais cela n'a plus rien à voir », défend-on chez Capitalcom, agence organisatrice du Grand Prix de l'AG. L'assemblée idéale parle stratégie, innovation, développement durable, métiers et ressources humaines…« Le changement de paradigme », selon Michaël Duval - consultant chez Capitalcom - date de cinq-six ans, en passant « du terrain de la transparence à celui de la cohérence ».

01 Une pédagogie globale

Quelle cohérence, notamment vis-à-vis des grands enjeux économiques et sociétaux ? « Il faut aujourd’hui donner des clefs pour apprécier l’ensemble des décisions prises par l’entreprise », explique le consultant. En 2013, plus d’un tiers des sociétés du CAC 40 se sont servies de données macroéconomiques pour leurs exposés. GDF Suez a ainsi fait appel à trois experts, via une vidéo, pour commenter les tendances énergétiques des prochaines années.

Les mutations stratégiques et technologiques sont elles aussi mises en avant. En 2013, AXA a emballé le parterre de petits actionnaires en expliquant comment il comptait tirer parti de la révolution du digital. L’innovation, très prisée en 2013, est d’ailleurs « au coeur des discours de cette saison 2014 », indique Jérôme Goaër, directeur communication financière chez Publicis Consultants. La préoccupation des actionnaires est de savoir ce qui fera l’innovation de demain. « Il faut montrer que l’entreprise a le potentiel pour produire de la croissance organique », illustre Jérôme Goaër. Michelin et Schneider Electric s’étaient distingués lors de leurs AG 2013 en faisant des exposés appréciés sur les innovations en cours de développement.

02 De multiples sujets

Les petits porteurs posent souvent un regard plus exigeant sur l’entreprise. « Un groupe peut ne pas répondre à la question d’un actionnaire. Mais ce serait une erreur que le management agisse dans ce sens », estime-t-on chez Capitalcom, pour qui si « chaque société a son contexte, ses sujets évitables, ou pas », il n’en reste pas moins que « plus l’entreprise va au-devant des sujets difficiles, mieux c’est ». Il y a quelques années, Total, confronté à une fuite de gaz en mer du Nord, avait décidé d’ouvrir son assemblée générale sur ce dossier d’actualité. « Cela a permis de poser le problème, de montrer que l’entreprise ne cherche pas à l’occulter… et de passer à autre chose », témoigne un consultant externe, rendant hommage à « un acte de transparence ».

03 La nouveauté « say on pay »

La rémunération des dirigeants est devenue le sujet des assemblées générales depuis la mise en place, cette année, du « say on pay » (lirepage 2). Un vote consultatif qui se joue sur le terrain de la cohérence. « Ce que les actionnaires regardent aujourd’hui, c’est la cohérence de la rémunération du dirigeant avec la performance de l’entreprise. Ils veulent qu’on leur parle des mécanismes qui amènent à ces rémunérations », souligne-t-on chez Capitalcom. « Un package de rémunération doit être légitime, analyse Jean Lambrechts, associé du cabinet Esserre. Et cette légitimité repose sur les objectifs annoncés, les finalités que l’entreprise se fixe. »

04 Les réseaux sociaux

Depuis que Bloomberg a incorporé des tweets à son service de données en avril 2013, il est difficile de faire l’économie des réseaux sociaux, et particulièrement de Twitter, pour « couvrir » son assemblée générale. Jérôme Goaër recommande de mettre en place un processus avec des tweets préparés et validés. Les entreprises qui s’y sont mises le plus efficacement comme Air Liquide proposent de suivre l’AG en direct sur Twitter.

05 L’anticipation

« Dans un monde idéal, le processus se prend très en amont », ne serait-ce que parce que les plannings de réservation d’un Palais des Congrès (12 AG du CAC s’y tiennent) ou d’un Carrousel du Louvre sont pleins deux à trois ans à l’avance. Mais ils sont finalement peu nombreux, les groupes qui, comme Air Liquide, sont dans les starting-blocks dès le mois de novembre. Le Salon Actionnaria, qui se tient à cette période, permet de « collecter les sujets qui montent chez les actionnaires et de tester leur ressenti vis-à-vis du marché. C’est un premier déchiffrage », recommande-t-on chez Capitalcom, Quelques questions essentielles demeureront : faut-il prévoir un petit cadeau ? Un buffet ou non ? Il n’y a plus qu’une dizaine de groupes à tenir leurs promesses de ce côté-là. Et le bar à eaux fait désormais quasi autorité.

« Say on pay », le devoir d’anticipation

La clef de cette pratique, au cœur de la question du salaire des dirigeants, repose avant tout sur le triptyque « anticipation, transparence et communication ».

Les nouvelles dispositions du code Afep-Medef de juin 2013 donnent en France un nouveau relief à la question de la rémunération des dirigeants. Le « say on pay », cette pratique qui vise à soumettre au vote consultatif des actionnaires la rémunération des dirigeants mandataires sociaux, est introduit – ou en passe de l’être – dans une quinzaine de pays de l’Union européenne, tandis que Bruxelles veut instaurer un vote contraignant.

La clef du dispositif tient dans un triptyque, analyse Jérôme Rambaldi, chargé de l’activité « Rémunération des dirigeants » chez HayGroup : « anticipation, transparence et communication ». La période d’anticipation correspond aux entretiens à mener avec les investisseurs, aux relations à établir avec les proxi investors, ces agences de conseil en vote mandatées pour se prononcer. Ce qui va se passer en assemblée générale ne doit pas constituer une surprise : « Il faut connaître l’issue du vote », avertissent à l’unisson les consultants. Le guide Afep-Medef recommande de détailler chaque point de la rémunération. « La base est que l’entreprise pratique une politique de rémunération de ses dirigeants cohérente, qui peut se démontrer », souligne Jérôme Rambaldi.

S’il y a des systèmes d’incitation, la résolution doit mettre en avant en quoi les critères de performance choisis sont en phase avec la stratégie servant l’objectif de création de valeur. Dans le cas d’une entreprise industrielle qui fait des investissements lourds, amortissables sur cinq ou dix ans, on peut imaginer que l’accent soit mis sur des systèmes d’incitation à long terme, ou que dans le cas d’une entreprise de services, les « packages orientés sur les résultats court terme » soient préférés, étant donné l’obsolescence rapide des investissements.

S’inspirer des fonds anglo-saxons

En matière de rémunération des dirigeants, il faut montrer « qu’il y a un pilote aux manettes », note le président du cabinet Essere, Jean-Claude Sobel. La meilleure preuve est, pour les actionnaires, « de regarder le travail qui est fait par le conseil d’administration et, en particulier, par le comité des rémunérations », avance ce dernier. « Il faut prouver aux investisseurs que c’est le comité qui est aux commandes », précise Jean Lambrechts, associé chez Essere. Et qu’il intervient en amont du processus, de l’analyse et de la décision. « On pourrait même imaginer que le président du comité voit les investisseurs et prenne la parole », propose Jean-Claude Sobel. En attendant, c’est en songeant aux fonds anglo-saxons qui représentent les épargnants américains et anglais, présents au capital de grandes entreprises françaises, que Jean Lambrechts encourage les présentations de « ♥ »say on pay » à l’anglo-saxonne », avec mise en valeur du comité de rémunération. OutreAtlantique, le « say on pay » est en effet un exercice marketing, qui tend à prouver l’efficacité du comité de rémunération dans toutes ses dimensions (organisation, fonctionnement, méthodes, composition, niveau d’autonomie, notamment en matière budgétaire).

En ce qui concerne la forme, le nouveau chapitre s’intègre aujourd’hui principalement dans le document de référence, mais certains prônent un document à part, comme cela se pratique dans les pays anglo-saxons.

Plus de transparence n’entraîne pas nécessairement une baisse de la rémunération : certains investisseurs ont tout intérêt à ce que la société tourne vite et fort et que la rémunération des dirigeants soit à l’avenant. Les entreprises peuvent aussi choisir d’assumer des votes négatifs : pour l’heure, le principal risque avec le « say on pay », c’est une atteinte à l’image.

À noter

Aux Etats-Unis, le « say on pay » a par exemple permis, en 2012, aux actionnaires de Citigroup de voter contre l’octroi de 14,8 millions de dollars au PDG Vikram Pandit, compte tenu de la chute du cours de l’action.

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